Airbus + Power8 = effervescence politique

Publié le par L'Arrosoir

D’un côté le sujet : Airbus et Power8. De l’autre, les candidats à l’examen pratique et concret qui se présente dans l’actualité : les prétendants à la présidence.

Le sujet

Airbus a confirmé le 28/02 dernier son plan de redressement, baptisé Power8, dont vous pouvez consulter les détails ici. Ce plan prévoit notamment une réduction des coûts notamment par le biais d’une réduction des effectifs de 10 000 personnes au total, ce qui amène 32% des réductions de coûts. Il est justifié par Louis Gallois comme nécessaire pour sauvegarder le futur d’Airbus. En effet, en 2006 Airbus est bénéficiaire. Mais les difficultés à livrer les avions A380 ont entraîné et entraîneront encore des coûts supplémentaires qui diminuent la marge de l’avionneur, et ainsi sa capacité à investir pour innover et sortir de nouveaux modèles. De plus, la concurrence s’intensifie dans le secteur, avec le retour en grâce de Boeing, et il faut donc produire à moindre coûts et plus vite. Enfin, la société se dit pénalisée par le niveau de change Euro / Dollar.

L’analyse critique du sujet

Premier point : y a-t-il réellement danger tel qu’il est présenté sur le futur d’Airbus ?

En consultant les résultats financiers d’Airbus des 3 trimestres 2006 disponibles, ici, il nous est permis de constater que jusqu’au milieu de l’année les résultats sont en ligne avec l’année 2005, mais que la situation semble de dégrader à partir de mi-2006. Pour parfaire le paysage, le communiqué suivant assombrit considérablement la perspective et indique que, sur 4 ans, le programme A380 sera déficitaire et contribuera à une baisse du bénéfice de 2,8 milliards d’euros sur ces années, sans prendre en compte le risque de résiliation de contrats déjà signés. Ce qui équivaut au bénéfice 2005. Malgré tout, le carnet de commande d’Airbus était à fin septembre 2006 de plus de 230 milliards d’euros.

Le danger n’est donc pas la mort financière de l’entreprise. Ce serait la réduction de sa capacité à investir, à innover. Est-ce un danger ? Dans un contexte de concurrence mondiale, face à Boeing qui s’est restructuré et est redevenu un compétiteur aiguisé, on peut avoir des craintes.

Certes, mais ce serait aussi la perte de sa capacité à augmenter la valeur de l’action et à rémunérer ses actionnaires. Pour ce qui concerne les dividendes, au 31/12/2005, 817 743 130 actions EADS avaient été émises, et rémunérées à 0,65€ pour l’année 2005, soit un reversement de l’ordre de 530 millions d’euros. Et dans les perspectives des opérateurs boursiers, le bénéfice net par action doit croître encore et encore, il était de 2,11€ en 2005, il devra retrouver ce niveau en 2008 malgré le passage à vide de 2006. Si ces prévisions venaient à être trahies, tout boursier le sait : l’action serait « sanctionnée » et sa valeur en bourse diminuée.

Il y a donc effectivement un danger, mais qui semble tout autant financier qu’industriel.

Deuxième point : est-il indispensable de réduire les effectifs ?

De la manière dont les réductions d’effectifs sont présentées, on peut légitimement avoir un doute. En effet, le plan Power8 se découpe en deux parties : réduction des effectifs d’un côté, rationalisation des processus de l’entreprise de l’autre. Il apparaît clairement que la réduction des effectifs, vus probablement à travers leurs coûts, a été placée en objectif préétabli. En réalité, il découle généralement de la rationalisation des processus ou de l’augmentation de la productivité. Il aurait été présenté dans ce cadre s’il en avait découlé.

La réduction des effectifs apparaît donc comme un objectif en soi, pas une conséquence de choix d’organisation ou de processus, et est probablement choisi pour son poids financier.

Troisième point : que pourrait-on faire d’autre qui n’aurait pas été exploré ?

Le plan Power8 n’aborde pas deux secteurs car il n’a pas les moyens d’action dans ces domaines.

Le premier, c’est le contexte de concurrence. La seule adaptation possible d’une société à court terme, c’est d’améliorer sa rentabilité pour vendre moins cher et pouvoir innover. Ce sujet est éminemment politique : comment modérer la concurrence dans un contexte où le marché est mondial ?

Le second, c’est la parité Euro / Dollar, qui aiderait bien Airbus, mais Airbus n’a pas de voie directe au sein de la BCE. Second sujet de prédilection pour le politique.

La lecture des réactions politiques

Ségolène Royal

Ses réactions ont été les suivantes
:
01/03: « l'Etat n'a pas joué son rôle d'actionnaire responsable », « Une capacité de réaction, voilà ce qui a manqué a Airbus », « un actionnaire privé s'est désengagé et il faut que le gouvernement mette cet actionnaire face à ses responsabilités », « Il faut réconcilier la France avec les vrais entrepreneurs », « [faire] prévaloir la stratégie industrielle sur la stratégie financière », « Les Etats doivent recapitaliser de façon stable les entreprises pour lutter contre les fermetures d'usines », soit : intervention de l’Etat en tant qu’actionnaire pour qu’il puisse y avoir des responsabilités, c’st-à-dire pour réduire le coût social des restructurations à zéro.

02/03: « Il n'est pas acceptable que des milliers d'emplois soient supprimés dans le fleuron de l'aéronautique française et européenne », « il est possible de faire autrement, en particulier si nous remettons ensemble l'ensemble des régions, qui aujourd'hui ne ressentent aucun appui du côté de l'Etat », « il faut renforcer les politiques européennes industrielles et cesser d'être en compétition entre pays européens », « Je veux réaffirmer que l'Etat a un rôle majeur à jouer », tout en se défendant de faire « de l'étatisme », un groupement stratégique pour trouver « des alternatives industrielles » au plan de restructuration Power8 de l'avionneur. « On est dans un système sur lequel il faut que toute la lumière soit faite: comment se fait-il qu'une entreprise qui a des commandes pour cinq à six ans soit obligée de procéder à des annonces très traumatisantes », accuse le gouvernement d'avoir confondu « son rôle d'actionnaire » avec « le pilotage politique » de l'entreprise.

03/03 : « Si je suis élue, après un moratoire sur Power 8, l'Etat interviendra pour recapitaliser et redéfinir le pilotage industriel en veillant à maintenir le tissu des PME sous-traitantes qui seront les grandes victimes de Power 8 », « L'annonce catastrophique est là : suppression de 10.000 emplois en Europe, 4.000 en France. L'actuel gouvernement est responsable de ce désastre »,

03/03, radicalisation Gersoise : « Nous avons affirmé que les licenciements financiers ne sont pas une fatalité, nous avons affirmé que la politique avait un rôle à jouer », « Comment se fait-il que des dirigeants d'entreprises gagnent autant d'argent ou puissent partir avec des parachutes dorés, des sommes insultantes pour les salariés ? », « il y a toujours une façon de résister, de dire non, (..) de dire qu'on pense qu'on peut faire autrement et de respecter la dignité humaine », « les entreprises qui délocalisent ou licencient, lorsqu'elles font des profits, devront rembourser toutes les aides reçues »

04/03 : « Il faut que l'Etat sorte de sa léthargie, de son inertie, cesse de penser que le marché peut tout régler »

La solution c’est donc une intervention publique au capital des sociétés, pour faire valoir des objectifs nationaux ou locaux.

Même si elle ne s’est pas exprimée explicitement en parlant du plan Power8, elle a fortement dénoncé la logique financière derrière les licenciements, les salaires des dirigeants. De l’extrême gauche dans le texte. Mais sans solution globalement applicable, je vois mal l'Etat entrer dans le capital de toutes les entreprises pour les contrôler de l'intérieur.

Rien sur la globalisation des marchés, qui exacerbe la concurrence et contribue à l’obligation d’avoir une santé financière de fer. Rien sur la parité euro / dollar.

En clair, on aurait cru entendre parfois Marie-Georges Buffet dans la bouche de Ségolène Royal, qui pour le coup a radicalisé son discours vers celui d’une gauche antilibérale. C'est une constante des dernières semaines, la candidate est de plus en plus à gauche et a tendance à étouffer les "petits" candidats de l'extrème gauche.

José Bové

03/03 : il invite « à se réunir pour préparer une journée nationale d'action contre les ravages du néo-libéralisme et les suppressions d'emplois annoncées par EADS », « La suppression de 10.000 emplois et de fermer ou de céder six sites de production annoncée par EADS est inadmissible », « ses actionnaires (au premier rang desquels Daimler-Chrysler, lÉtat français, et Lagardère) n'assument aucune de leurs responsabilités économiques et sociales », « Une fois de plus, les salarié-e-s sont utilisé-e-s comme variable d'ajustement dans une course aux profits éperdue ».

Il ne propose pas de solution, si ce n’est celle de la lutte par la protestation, mais par contre dénonce bien l’usage abusif des salariés comme des variables d’ajustement, et le contexte de concurrence et de financiarisation mondiales (néo-libéralisme).

Rien sur la parité euro / dollar. Surprenant pour un noniste !

Conclusion : la dénonciation est tout aussi pertinente que la candidate socialiste, mais les solutions restent visiblement à développer : que trouvera-t-on dans la dénonciation du néolibéralisme ?

Marie-Georges Buffet

05/03 : « Le plan de 'sauvetage' d'Airbus est profondément inacceptable », « Ce n'est pas aux salariés de faire les frais d'une crise dont ils ne sont pas responsables, dans une entreprise disposant de grandes perspective de croissance », les actionnaires « touchent chaque année près de deux milliards d'euros. Et ce sont les salariés à qui l'on veut faire payer les pots cassés! », demande « un moratoire suspensif pour mettre immédiatement tous les problèmes sur la table », « Le gouvernement doit convoquer le Parlement en session extraordinaire et engager un grand débat national sur la politique industrielle », redonner «à la France et à l'Europe la maîtrise totale de son industrie aéronautique et spatiale en créant un groupe européen 100% public ».

Soit une position très similaire à Ségolène Royal, mais avec une intervention publique de 100%.

Très surprenant, rien sur la globalisation des marchés, ni sur la parité euro / dollar, qui gène Airbus. Un petit air de traitement minimal bien rodé.

Olivier Besancenot

Demande le retrait pur et simple du plan Power8. La contestation dans toute sa splendeur. Aucune dénonciation des mécanismes en cause.

Chez les autres

Pas beaucoup de surprise, si ce n’est Nicolas Sarkozy : « Il faut que l'Etat prenne les choses en main pour sortir de cette crise. Donc augmenter s'il le faut sa part au capital, quitte à en ressortir à la fin de la crise, avec un bonus. », et « Il faut poser la question de la parité euro-dollar ». Le seul à surfer sur cette vague, glissante si il en est : un euro plus faible face au dollar renchérirait le coût de l’énergie en Europe, qui constituait, en 2005, 22,3% des importations de biens (source Union Europénne). Et hop, nous revoilà sur le sujet de la dépendance énergétique ...

La correction des copies

Dans l'ensemble, je suis plutôt déçu du manque de référence à des enjeux globaux qui dépasse de loin l'échelle du pays. Cependant, je trouve quelques bons points dans les positions de Ségolène Royal, très à gauche dans le Gers, et de Bové, seul dénonciateur explicite qui ait introduit le néolibéralisme (financiarisation, globalisation du libéralisme) dans la discussion.

Buffet et Besancenot me paraissent vraiment fades et recroquevillés sur leurs positions classiques de dénonciation sans proposition concrète.

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N
A la lecture de ton article (encore une fois clair et rigoureux) je retiens que :<br />  <br /> <br /> 1 - personne n’est capable de proposer une autre solution concrète que des licenciements pour faire face aux difficultés (réelles) auxquelles est confronté EADS.<br />  <br /> <br /> 2 - Dans ce contexte de campagne électorale et faute de pouvoir proposer de réelles solutions, Ségolène Royal et José Bové (moins surprenant), se rabattent sur un discours un peu facile et plus général sur les excès du libéralisme ce qui, évidemment, ne fait pas avancer le schmilblik !<br />  <br /> <br /> 3 - l’intervention des candidats à la présidentielles sur ce dossier démontre leur impuissance face à ce genre de situation<br />  <br /> <br /> 4 - l’intervention des candidats à la présidentielles sur ce dossier ne sert strictement à rien pour les salariés d’Airbus, que ce n’est qu’une posture politique qui leur permet d’affirmer ou à corriger leur positionnement sur l’échiquier politique !
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L
La seule à proposer un début de réflexion concrète finalement, c'est Royal, à travers son initiative "Sauvons l'aéronautique", dont l'idée serait de chercher des alternatives aux suppressions d'emploi. Mais sans solution réelle, concrète pour le cas Airbus qui apparaisse.Or c'est bien dans le concret qu'on reconnaît une capacité d'action ou une impuissance. Les dénonciations du "système" pleuvent par contre à verse, et finalement le seul mouvement qui se mette en marche c'est celui du conflit social : lutte par la grève et la manif, pour ouvrir des négociations.En conclusion, pour l'instant, les candidats ne brandissent aucun levier économique qu'ils auraient en leur possession pour éviter que, comme dans le cas présent, et c'en est bien un, l'emploi serve de variable d'ajustement, ou plus largement que la concurrence mondiale force à licencier ou délocaliser.